Restreindre l’installation de nouveaux restaurants risque de scléroser le secteur
La proposition de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie d’instaurer un numerus clausus sur les restaurants afin de limiter les faillites se trompe de cible, analyse Olivier Gergaud, spécialiste en économie de la restauration, dans une tribune au « Monde ».
L’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH) souhaite instaurer un numerus clausus ou une obligation de formation en gestion pour quiconque désire ouvrir un nouveau restaurant. L’intention affichée est de professionnaliser le secteur et de limiter les faillites, aujourd’hui en forte hausse. Mais cette proposition risque de nuire à un marché dont la vitalité repose précisément sur son ouverture et sa fluidité.
Le marché de la restauration est typique de ce que les économistes appellent une concurrence monopolistique. Cette structure se caractérise par une forte différenciation des produits, un grand nombre d’opérateurs, une demande très sensible aux variations de prix et un pouvoir de marché limité pour chaque établissement. Les marges y sont structurellement faibles, et l’entrée comme la sortie sont libres. Chaque année, des milliers de restaurants disparaissent, remplacés par de nouvelles initiatives qui cherchent à séduire des clients aujourd’hui plus contraints par leur budget qu’auparavant. Les économistes sont d’accord sur ce point : un tel marché ne justifie pas de régulation restrictive à l’entrée.
Imposer un numerus clausus ou un certificat de capacité de gestion reviendrait à mettre en place une barrière à l’entrée comparable à celles qui existent dans les professions réglementées, comme le notariat ou la pharmacie. Dans la restauration, une telle mesure entraînerait des conséquences néfastes. Elle réduirait la diversité de l’offre, freinerait l’innovation et découragerait l’arrivée de nouveaux talents. Elle protégerait les acteurs établis au détriment de la vitalité du secteur et, in fine, des consommateurs.
S’il existe un domaine où la régulation est nécessaire, ce n’est pas dans l’accès au métier, mais dans l’information communiquée aux clients. Aujourd’hui, il est extrêmement difficile de savoir si un plat est véritablement « fait maison » ou simplement réchauffé à partir de produits industriels fournis par des grossistes alimentaires, comme Metro ou Promocash. Cette opacité empêche le consommateur de faire un choix éclairé et entretient une confusion dommageable pour la restauration de qualité. George Akerlof l’avait montré dès 1970 dans son célèbre article « The Market for Lemons » : sur un marché où l’information est imparfaite, la mauvaise qualité tend à chasser la bonne.
Concurrence et transparence
A l’instar de la loi de Gresham, qui veut que la mauvaise monnaie chasse la bonne, l’absence de transparence entraîne une dévalorisation progressive des produits de qualité. A long terme, c’est la bonne qualité qui disparaît, voire le marché qui s’effondre. J’avais déjà plaidé, en 2018, dans ces mêmes colonnes, pour une politique fiscale en faveur du fait maison. Plus que jamais, il est nécessaire d’avancer vers un étiquetage clair et obligatoire distinguant sans ambiguïté le fait maison du reste. Une telle mesure renforcerait la transparence, améliorerait la concurrence et valoriserait le travail des cuisiniers qui s’engagent dans une véritable production culinaire.
Un autre champ où la régulation aurait toute sa place est celui de l’hygiène. En France, la surveillance des établissements est assurée par la direction départementale de la protection des populations. Mais cette inspection, aussi rigoureuse soit-elle, reste largement invisible pour le client. A l’inverse, aux Etats-Unis, l’introduction des hygiene cards, affichées sur la devanture des restaurants, a profondément transformé le marché.
Ces cartes, qui attribuent une note visible (A, B ou C) issue du dernier contrôle sanitaire, ont incité les restaurateurs à améliorer leurs pratiques tout en permettant aux consommateurs d’orienter leur choix en toute connaissance de cause. L’économiste Phillip Leslie a montré, dans un article publié en 2003 dans le Quarterly Journal of Economics, que ce dispositif avait eu un effet durable sur la qualité sanitaire des établissements. Voilà un exemple de régulation utile, qui ne bride pas l’entrée sur le marché mais améliore directement l’expérience du consommateur.
La proposition de l’UMIH se trompe de cible. En voulant restreindre l’installation de nouveaux restaurants, elle risque de scléroser le secteur. Dans un tel marché, la régulation pertinente n’est pas celle qui érige des barrières à l’entrée, mais celle qui informe le consommateur et lui permet de faire des choix éclairés. L’avenir de la restauration passe par une transparence accrue sur la qualité et l’hygiène.
Olivier Gergaud est professeur d’économie à la Kedge Business School (Paris).